Rédacteurs invités :
Christelle MARTIN LACROUX – Université Grenoble Alpes
Fabienne PEREZ – ESSCA School of Management
Présentation de l’appel à contributions :
Les organisations sont au cœur d’un changement majeur, qualifié de quatrième révolution industrielle (Schwab, 2017) ou encore d’ère des algorithmes (Danaher et al., 2017). L’intelligence artificielle (IA), définie comme une technologie permettant à une machine de « reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité » y joue un rôle majeur, avec le développement de technologies déployées aujourd’hui largement au sein des organisations (Haesevoets et al., 2021). Parmi ces technologies, on trouve notamment le Machine Learning (ML), regroupant un ensemble de méthodes de prévision fondées sur des algorithmes permettant « d’apprendre » de manière cumulative à partir de données d’entraînement et de construire des systèmes algorithmiques d’aide à la décision (SAAD).
Les applications de ces technologies intégrant de l’IA sont largement diffusées au sein des organisations, entraînant la transformation des pratiques et des process, tant au niveau des équipes de travail qu’au niveau des individus.
- En premier lieu, le développement de l’IA a modifié la manière dont les individus collaborent avec les dispositifs algorithmiques et la manière dont ces derniers collaborent entre eux. Dans le domaine du recrutement par exemple, l’IA est utilisée à toutes les étapes du processus, depuis des tâches relativement simples telles que l’extraction d’informations à partir de CV, jusqu’à des tâches hautement complexes et subjectives, telles que l’analyse automatisée d’entretiens ou la sélection multicritères du « meilleur candidat » (Nawaz, 2020). Le terme de « recrutement augmenté », défini comme un processus dans lequel les individus travaillent en étroite collaboration avec une IA pour accomplir une tâche (Raisch & Krakowski, 2021) fait émerger de nouvelles questions (Langer et al., 2021), notamment sur les perceptions et le comportement des recruteurs en interaction avec des systèmes intégrant de l’IA (chatbot, recommandations automatiques de candidatures, analyses automatiques d’entretiens vidéo asynchrones). Les IA génératives représentent un autre exemple d’outil introduit dans les organisations ; ces dernières sont capables de créer du contenu de manière autonome (des textes, des images et des vidéos) et modifient les interactions entre l’homme et la machine, appelant à des contributions en lien avec l’éthique, la propriété intellectuelle, l’efficacité organisationnelle, mais également le bien-être et l’engagement des salariés (Budhwar et al., 2023). Le déploiement d’agents virtuels dans des équipes pour coordonner les tâches a également des effets encore peu explorés sur la satisfaction au travail, les perceptions de conflits, ou encore la confiance (Dennis et al., 2023).
- En second lieu, certaines tâches dévolues traditionnellement aux managers sont aujourd’hui parfois automatisées : évaluation automatique des performances, assignation de tâches, prise de décision relative à la rémunération voire même à d’éventuelles sanctions (Gagné et al., 2022). Là encore, des recherches s’avèrent nécessaires pour analyser comment ce « management algorithmique » modifie le rôle des managers (Sutherland et al., 2021) en termes de pouvoir, de développement de nouvelles compétences algorithmiques et génère également des effets sur leurs collaborateurs, en termes d’attitudes d’aversion algorithmique (Dietvorst et al., 2015) ou a contrario d’heuristique machine (Lee, 2018; Sundar & Kim, 2019). Peu d’études ont été menées à ce jour et elles tendent à conclure que les collaborateurs perçoivent les décisions algorithmiques comme moins justes et moins fiables et suscitant plus d’émotions négatives que les décisions humaines (Lee, 2018).
- Ensuite, il existe aujourd’hui une abondante littérature sur l’usage des systèmes algorithmiques dans les interfaces homme/machine, issue de différents champs scientifiques à l’instar de la psychologie, l’informatique, ou le management des systèmes d’information. Dans tous les travaux publiés sur l’usage de systèmes algorithmiques d’aides à la prise décision, la confiance est étudiée comme un prédicteur essentiel des choix des individus à utiliser ou se conformer aux conseils fournis (Lacroux & Martin-Lacroux, 2022). Plusieurs modèles intégrateurs de la confiance organisationnelle ont été proposés incluant les concepts de contrôle perçu sur le processus, l’aversion au risque (Mayer et al., 1995; Solberg et al., 2022).
- Enfin, l’introduction des algorithmes et des IA implique des changements importants dans l’organisation, tant dans la transformation de l’expertise, la redéfinition des tâches que la coordination et le contrôle (Faraj et al., 2018). Ces changements peuvent potentiellement entrainer des réactions individuelles ou collectives de résistance (Kellogg et al., 2019). La question du design du travail devient alors essentielle dans un contexte de transformation (Parker & Grote, 2020), tant par la façon dont l’IA peut modifier le travail, que dans la façon dont les individus et organisations peuvent être acteurs et parties prenantes du design du travail.
Les contributions
Les contributions attendues peuvent relever à la fois d’études sur le terrain en situation réelle d’utilisation d’outils d’aide à la décision (Glikson & Woolley, 2020; Solberg et al., 2022) mais également mobiliser des cadres conceptuels permettant d’intégrer des variables en lien avec la confiance dans la collaboration homme/machine (Solberg et al., 2022)
- Les outils intégrant de l’IA bouleversent également la manière dont le travail se transforme au sein des organisations (Brynjolfsson et al., 2018) et dont les individus au travail perçoivent la mise en place de ces outils en termes de potentielle perte de qualifications pour eux, de redéfinition de leurs marges de manœuvre au travail pour s’adapter à la collaboration avec les systèmes intelligents, tout en maintenant une certaine forme d’autorité sur ces derniers Les individus peuvent être amenés à redéfinir et repenser leur travail, notamment avec des comportements de job crafting (Perez et al., 2022 ; Wrzesniewski & Dutton, 2001) afin qu’il soit en adéquation avec leurs attentes et valeurs. Des contributions sont ainsi attendues en lien avec la conception du travail – work design– dans une perspective multiniveau, à travers la façon dont les individus, les équipes, les organisations ou les branches contribuent à la redéfinition du travail.
A travers ce numéro spécial, nous espérons valoriser des recherches qui apportent des réponses sur les effets de l’IA en termes de comportement organisationnel, à destination des chercheurs mais également des praticiens. Ces recherches fourniront des éléments théoriques et empiriques contribuant notamment à guider les choix des managers en matière d’adoption et d’intégration de ces technologies dans les environnements de travail contemporains. Nous espérons ainsi que ce numéro spécial permettra de répondre à plusieurs des questions présentées ci-dessous :
- Quelles sont les conséquences du déploiement d’outils IA sur les individus qui travaillent au sein des organisations, en termes de croyances, de perceptions d’éthique et de justice, d’émotions, de stress, de comportement, d’attitudes (aversion algorithmique, heuristique machine) ?
- Quels mécanismes sous-tendent la confiance et le comportement des individus à l’égard des outils intégrant de l’IA ?
- Quels peuvent être les effets de l’introduction de ces outils sur la santé au travail et le bien-être au travail des individus ?
- Comment les individus redéfinissent-il leurs marges de manœuvre en termes d’acquisition de compétences, de pouvoir ? Comment les pratiques professionnelles évoluent avec l’IA ?
- Comment les individus envisagent leur carrière avec l’arrivée de l’IA, notamment en termes de développement de compétences, de choix de spécialisation ou de carrières ?
- Comment redonnent-ils du sens à leur travail quand ils sont « augmentés » (ou non) par l’IA ?
- Comment le travail en équipe se transforme-t-il dans des contextes d’introduction d’outils utilisant de l’IA (assistant virtuel, systèmes automatiques d’aide à la décision…) ?
- Quels sont les effets de l’IA sur le fonctionnement des groupes, en termes de pouvoir, de leadership, de comportements intergroupes ?
- Quels sont les leviers qui permettent d’implémenter avec succès des solutions intégrant de l’IA au sein des organisations ? Comment les organisations peuvent repenser le contenu des emplois et faciliter les démarches individuelles des individus à façonner leur travail ?
- Quelles stratégies individuelles les acteurs mobilisent-ils pour maintenir sens et identité au travail ?
Ce numéro spécial en appelle à toutes les formes de contributions qui permettent de mieux comprendre les liens entre le déploiement de l’IA dans toute sa diversité et le comportement des individus au sein des organisations. Cet appel est ouvert à une grande variété de méthodologies : revues de littérature narratives, systématiques, méta-analytiques ou bibliométriques, analyses empiriques expérimentales, cross sectionnelles, longitudinales…
Les propositions d’articles pour ce numéro spécial doivent obligatoirement être soumises via notre plateforme de gestion des manuscrits : https://ripco.manuscriptmanager.net/ripco. Lors de la soumission, les auteurs doivent choisir le numéro spécial « Special Issue : IA dans les Organisations » dans le menu déroulant du champ « Si le manuscrit est destiné à un numéro spécial, choisissez dans la liste… » qui se trouve dans la page « DETAILS » de la soumission. Les propositions devront suivre les normes éditoriales de la revue : ripco-online.com/en/avantSoumission.asp
Le processus d’évaluation des manuscrits du numéro spécial est le même que pour les numéros réguliers. Tous les articles soumis à la revue sont évalués selon le principe de l’examen en double aveugle. Tous les manuscrits soumis à nouveau passent par le même processus d’évaluation, et les évaluateurs précédemment sollicités donnent une évaluation basée sur la prise en compte des changements suggérés lors du premier tour d’évaluation. La décision éditoriale définitive sera prise sur la base de la seconde version proposée, sous la forme soit d’une acceptation pour publication, soit d’un rejet définitif, éventuellement d’une invitation à resoumettre pour un numéro régulier de la revue.
Soumission des manuscrits : 31 août 2024
Avis aux auteurs : 6 novembre 2024
Soumission des manuscrits révisés : 15 décembre 2024
Relectures supplémentaires et acceptation définitive : 15 mars 2025
Soumission de la version finale du numéro spécial à envoyer à la RIPCO : 15 avril 2025
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